A l’occasion de la rétrospective
d’A. Giacometti à Beaubourg (octobre 2007), …
Philippe Bedeau
La rencontre l'oeuvre ou le "désir
de savoir" suspendu !
C'est à la suite de la première rétrospective
d'A. Giacometti, qui eut lieu à Paris en 1991, que mon regard s'est porté
sur cet artiste. Depuis, nombreuses furent les occasions de nouvelles rencontres,
avec toujours la même impression, à la fois d'étrangeté
et de « profondément proche ». Il serait tentant et facile
d'y voir une illustration de ce sentiment "d'inquiétante étrangeté"
dont Freud fit l'analyse (2). Pour notre part, nous suspendrons
ce moment de comprendre, pour tenter de saisir ce qu' A.Giacometti a suscité
chez les psychanalystes et les historiens de l'art, et peut-être de faire
l'expérience de découvrir un domaine à l'écart et
négligé par les spécialistes et dont l'actualité
témoignerait.
Il n'est pas indifférent nous semble-t-il que ce soit à partir
des années quatre-vingt-dix, qu'A.Giacometti apparaît sur la scène
du grand public. Pour nous en convaincre, il suffit de repérer parallèlement
à cette première rétrospective, à quel moment sont
parues les différentes analyses écrites à ce jour - à
l'exception des écrits d'autres artistes ( Genet, Blanchot, Sartre...)
- dont le statut d'oeuvres sur l'oeuvre n'appartient pas au même registre.
Toutes datent de 1991 et des années postérieures à la rétrospective
de cette année-là (soit près de vingt cinq ans après
sa mort), d'autres expositions et publications avaient eu lieu auparavant, mais
sans cette ampleur. On sait combien par ailleurs, de telles rétrospectives
suscitent d'analyses, commentaires et publications et sont "commanditées"
par le marché. Mais là n'est pas notre propos. Il est à
noter par contre que les rares psychanalystes qui se soient penchés sur
son oeuvre l'ont fait après les travaux des historiens de l'art. Cette
donnée chronologique n'est pas sans indication - de notre point de vue
- quant à l'actualité de cette rencontre et aux questions travaillées
dans le champ de la psychanalyse aujourd'hui. Nous verrons donc en quoi, à
la suite d'une rapide présentation et analyse des travaux des uns et
des autres, l'actualité de cette rencontre peut concerner la psychanalyse
dans son propre questionnement.
I) Les psychanalystes et Giacometti
A.Giacometti a peu inspiré les psychanalystes. On trouve
cependant dans les écrits psychanalytiques plusieurs références
à son oeuvre. P.Fédida dans un article intitulé "Rêve,
visage et parole" (3)- à propos du regard et de
sa parole - nous indique: "Et le visible ne dit rien à la vue tant
que le langage ne peut le rendre - très exactement au sens ou Paul Klee
parle de la peinture qui n'a pas à rendre le visible mais à rendre
visible. Et, en d'autres termes, Giacometti exprime la même intuition
: le dessin d'un visage concerne moins l'aptitude d'un tracé à
représenter ce que la vue a reçu que le pouvoir des mots à
engendrer ce visage en guidant le crayon à sa rencontre" (4).
Dans un autre article intitulé "Le souffle indistinct de l'image"
(5) et en référence aux textes du poète
André du Bouchet sur les dessins d'A.Giacometti, P.Fédida écrit:
" les textes sur Giacometti (6) trouvent avec le dessin
et la sculpture cet étai réciproque de la blancheur, du support,
de l'air, de la figure. (Cela pourrait s'écrire sans virgules : La blancheur
du support de l'air de la figure) : Souffle sur lequel les signes jamais ne
conservent prise" (7)
Ces deux références à A.Giacometti s'inscrivent dans l'élaboration
théorique de P.Fédida au même titre que d'autres références,
ici par exemple : P.Klee, André du Bouchet. Elles ne constituent pas
une "application" de la psychanalyse mais plutôt un étayage
poétique de ce que tente de rendre compte P.Fédida dans sa théorisation
de la situation analytique. Aussi, même si c'est au titre de ce qu'A.Giacometti
donne à voir que ces références sont faites, on peut remarquer
l'enseignement qu'en tire P.Fédida lorsqu'il nous convie à entendre
l'intuition de Giacometti dans le double registre - celui de l'artiste et celui
du psychanalyste - comme s'il nous donnait à lire ceux-ci à travers
cette indication que l'on qualifiera de clinique: " le visible ne dit rien
à la vue tant que le langage ne peut pas le rendre " (8).
Nous y verrons aussi une indication quant à l'effectuation de la pratique
analytique dès lors que les repères nosographiques classiques,
ne nous renseignent en rien quant à la singularité des choix opérés
par le sujet. Nous avons là, nous semble-t-il, une modalité d'écriture
qui participe elle-même, par sa forme, à cet étayage non
plus exclusivement poétique mais aussi théorique, que nous avons
souligné précédemment et qui a pour nous valeur heuristique.
Une autre contribution retiendra notre attention, celle de
S.Stirn, psychologue clinicien, à propos cette fois de la répétition
notamment dans les sculptures de Giacometti (9). L'auteur nous
conduit à l'aide de Tahar Ben Jelloun vers les représentations
de l'angoisse, de la souffrance, de la solitude, du vide.
Mais pour cet auteur, la recherche de l'artiste qui se traduit par cette compulsion
de répétition qui le porte à l'extrême de son être
- dont l'étirement de certaines sculptures témoigne - se traduit
par un prix à payer : la souffrance, l'angoisse.
Mais cet effet dont Tahar Ben Jelloun s'est fait le témoin (10)-
"Giacometti m'a communiqué la figure incorruptible et touchante
de l'angoisse" - est relaté par Giacometti comme "la plus grande
aventure, celle de voir surgir quelque chose d'inconnu, chaque jour, dans le
même visage" (11).
Et S.Stirn de conclure: " Qu'avais-je appris d'eux? Qu'il faudrait sans
cesse se répéter de rester humble que ce soit devant une oeuvre
ou une personne ou un patient et écouter le silence qui peut être
le mien".
Afin peut être de voir surgir quelque chose d'inconnu,
qui est à la fois la position de l'artiste et celle du clinicien. Se
taire pour écouter ce que disent les sculptures de Giacometti telle est
l'invite de S.Stirn pour nous rappeler notre position de thérapeute dans
sa dimension radicale face au réel.
Notons dès à présent que cette dimension du surgissement
et des conditions de celui-ci sont chez Giacometti intimement mêlées
à la répétition. Nous aurons à y revenir notamment
pour spécifier ce prix à payer inclus dans cette grande aventure.
Dans une autre perspective, S. Le Poulichet dans un article
récent (12), fait travailler les écrits de Giacometti,
pour rendre compte de la façon dont celui-ci témoigne de ce que
peut être une élaboration psychique propre à l'artiste.
Un lieu constitué par "l'exercice d'un passage et d'une métamorphose
qui congédie l'image officielle du moi, en lequel des choses deviennent
objets et ne cessent de s'y altérer, de s'y transformer" (13).
Sans développer ici l'ensemble des arguments avancés par l'auteur,
ce qui dépasserait le cadre de ce détour par les contributions
suscitées par l'oeuvre de Giacometti, nous pouvons néanmoins en
retenir la visée métapsychologique sur les processus "d'engendrement
de corps étrangers" et dont l'approche permet à l'auteur,
dans un autre travail (14), de réinterroger le concept
de sublimation à partir de cette capacité qu'aurait l'artiste
à disposer d'un lieu à engendrer de l'inconnu.
Enfin, dans un argument - celui de l'inachèvement (15)-
Giacometti est pris comme une référence exemplaire (16).
Si Freud lui-même tient l'inachèvement de nombreuses oeuvres principales
de Léonard pour un symptôme dont il s'efforce dans Un souvenir
d'enfance... de trouver le sens et les sources, ici Giacometti sera celui qui
a pu écrire " une sculpture ne peut être finie ni parfaite",
ultime (?) référence pour justifier l'arrêt d'un projet
éditorial dont on ne sait les véritables raisons. Comparer cette
forme particulière de production d'un artiste à celle d'une revue
de psychanalyse qui décide de mettre fin à sa publication, nous
semble sans rapport avec ce qui se jouait dans les modalités d'inachèvement
propres à Giacometti.
En effet, l'artiste constate l'inachèvement de son oeuvre, en prend acte
et en assume les causes (et les conséquences aussi). Il ne le justifie
pas et pour nous en convaincre il suffit de reprendre l'argument prétexte
de ce détour pour faire nôtre cette parole de poète : "Dans
l'éclatement de l'univers que nous éprouvons, prodige! Les morceaux
qui s'abattent sont vivants." (René Char) (17).
Pour conclure sur cet article où Giacometti n'est là en référence
qu'à une justification qui ne le concerne pas et dont l'argument n'est
pas du même registre, nous ne pouvons que constater que quelles que soient
les propositions émises, il est toujours possible d'en référer
à un artiste ou à un auteur pour s'affranchir d'un choix, avec
ce qu'il comporte de culpabilité et d'agressivité (18),
ici en l'occurrence de mettre fin à une aventure.
Ainsi, quelle que soit l'impossibilité d'aboutir il faut essayer, "
il faut que j'essaye" (Giacometti), témoignage de ce désir,
de cette mise au travail, qui s'abstient de toute finalité dans l'ordre
des services des biens (19), et dont la réussite -
la "sublimation" ? - serait proportionnelle à l'importance
du risque affronté! (20)
Nous avons vu que, dans ces quatre contributions où la référence
à l'oeuvre de Giacometti peut avoir des visées différentes,
toutes font néanmoins travailler l'oeuvre au sein même du champ
de la psychanalyse et non pas de l'esthétique. Rendre compte d'une théorisation,
d'une pratique ou d'une décision, concerne d'abord un questionnement
propre à la psychanalyse ou à la clinique. Mais qu'en est-il lorsque
c'est la psychanalyse qui est convoquée par l'esthétique (au sens
de la critique ou de l'histoire de l'art)?
II)
La psychanalyse et la critique esthétique de l'oeuvre de Giacometti.
Georges Didi-Huberman, dans un livre intitulé "Le cube et le visage"
(21), nous fait découvrir cette sculpture paradoxale
de Giacometti qu'est le Cube. Sa méthode, qui empreinte différents
niveaux d'interprétation dont celui de la psychanalyse, est au service
d'un questionnement de l'image qui caractérise l'ensemble de son élaboration.
Sa familiarité avec la psychanalyse notamment au sujet de l'hystérie
(22), fait oeuvre dans ce texte (23). Néanmoins,
son projet n'est pas psychanalytique, mais bien esthétique, dans la tradition
des monographies dont l'histoire de l'art est riche. Sans pouvoir, ni vouloir
résumer son propos - en raison notamment de son extrême érudition
et de sa puissance démonstrative - nous en retiendrons la démarche,
dans sa dimension heuristique - celle qui nous préoccupe - et dans la
mesure où elle nous apporte par surcroît une meilleure compréhension
du corpus freudien.
De même qu'avec les hystériques pour qui Freud décide que
les symptômes donnés à voir ont un sens à rechercher
dans la parole même de l'hystérique, G.Didi-Huberman attribue au
Cube un sens qu'il est nécessaire de retrouver - non pas pour Giacometti
pris alors comme patient - mais pour nous spectateurs qui aurions tendance à
dire avec A. Breton: un cube c'est un cube tout le monde sait cela ...(24).
Faire d'un cube un rêve dont le contenu manifeste recèle ce détail
qu'est cette face aveugle, la treizième, c'est l'opération nécessaire
pour que se déploie l'analyse de G.Didi-Huberman dans sa recherche d'un
contenu latent et du sens de cet objet paradoxal (25). Ce
Cube va se révéler au fil de l'analyse être un cristal aux
multiples facettes qui déploie des efficacités multiples qui nécessiteront
donc différents niveaux d'interprétation.
Le modèle
paradigmatique qui sous-tend cette analyse sans jamais être explicite
est celui de la condensation (26)dont G.Didi-Huberman a, de
façon magistrale, mis à jour les réseaux associatifs (27).
Aussi, cette analyse est-elle pour nous exemplaire d'un travail d'élucidation
à partir d'un concept psychanalytique - la condensation. En effet ce
que, dans la situation de la cure, le patient apporte comme associations qui
permettent le déploiement de la condensation, ici, c'est l'auteur qui
apporte son questionnement, ses hypothèses, ses interprétations,
ses démonstrations, ses justifications. Il le fait à partir de
l'oeuvre même de Giacometti et de sa biographie - tous matériaux
qui vont prendre alors forme d'associations - afin de proposer une construction
cohérente de l'oeuvre étudiée.
Cela dit, si nous avons délibérément choisi le terme de
construction pour définir l'analyse de G.Didi-Huberman, c'est aussi pour
mieux en souligner l'extra-territorialité par rapport à la psychanalyse.
Si le travail de l'historien de l'art peut être comparé à
celui de l'archéologue, pour reprendre l'analogie de Freud, il en concluait
pas moins la fin de celle-ci par un : "Et voici que notre comparaison entre
les deux méthodes de travail arrive à son terme, car la différence
principale entre elles consiste en ce que, pour l'archéologue, la reconstruction
est le but et la fin de son effort, tandis que pour l'analyste la construction
n'est qu'un travail préliminaire" (28).
Cette radicale différence de finalité nous conduit à nous
interroger sur un autre texte consacré à une sculpture de Giacometti:
Le Nez par Jean Clair (29).
Comme le précise la présentation de ce livre : l’anthropologie, le folklore, la psychanalyse, la biologie sont convoqués pour enrichir l'approche de l'historien de l'art. A l'instar de G.Didi-Huberman, cette érudition a pour finalité de déployer les mille et un motifs, événements, influences, traces qui dans une chimie particulière à l'artiste conduisent à un donné à voir, ici, en l'occurrence un nez. Mais qu'est-ce que ce Nez là ? Sans expliciter ici l'ensemble de la démarche de J.Clair nous en retiendrons - pour notre propos - le modèle paradigmatique qui, si dans le Cube avait figure de condensation, appartient ici à un autre processus du rêve, en l'occurrence : le déplacement (30). Si G.Didi-Huberman dans son essai a toujours travaillé son matériau dans la seule optique de rendre compte des efficacités du Cube sans glisser vers l'analyse psychobiographique de l'artiste, il n'en est pas de même de l'essai de J.Clair où la psychanalyse vient parfois soutenir un désir d'en savoir plus sur l'homme Giacometti, sans toujours pouvoir s'étayer par une oeuvre, un écrit, un témoignage - pris comme fonction associative - :
" Il faudrait
sans doute décrire plus exactement encore ce trouble intérieur
dont Giacometti est la proie, dans son affrontement où l'expérience
de la mort désormais dominera sa vision de la vie et des êtres
vivants, et particulièrement au coeur de l'expérience érotique.
Expérience de déréalisation, de néantisation, accès
de neurasthénie, d'une hypocondrie comme on disait jadis, de schizoïdie
dirait-on aujourd'hui, qui fait que la catalepsie dont le vivant est la proie,
c'est au monde entier qu'elle s'étend, ou plutôt comme si l'animisme
inconscient qui fait que nous prêtons aux objets une vie propre, une existence
qui nous regarderait"(...)(31) .
Serait-ce le modèle même du déplacement qui induirait ce
glissement méthodologique? Ou plus simplement peut-être l'ambition
de J.Clair n'était pas de faire oeuvre de théorisation avec ce
qu'elle implique de rigueur méthodologique, mais plutôt d'être
l'interprète de cette oeuvre avec son cortège d'engagements dont
témoigne la fin de son essai.
Il n'est qu'à lire les dernières phrases de ces deux essais pour
saisir les modalités différentes de construction et leurs effets
- de sens ou de penser - sur le lecteur.
G.Didi-Huberman:
"Que le Cube soit un symptôme ne signifie en rien qu'il relève
d'une clinique ou d'une psychopathologie. Cela signifie simplement qu'il présente
sa singularité visuelle comme l'indice d'une surdétermination
constamment à l'oeuvre, et devant laquelle l'interprétation doit
constamment se démultiplier elle-même, se refendre.(...) Le Cube
est donc plusieurs, un et deux et trois, jusqu'à douze ou treize et plus,
parce qu'il est puissamment surdéterminé; (...); enfin, il tend
vers le zéro, d'abord parce qu'il s'est construit comme "maintenant
le vide", à l'instar de L'Objet invisible, et ensuite parce que
son créateur même aura voulu l'anéantir, l'enterrer, le
rendre nul à nos yeux - le rendre au fond à cette absence dont
il avait été, pour un temps, le cristal efficace. "(32)
J.Clair: "Comment ne pas comprendre, dix ans après La pomme sur
le buffet et vingt ans avant sa mort, que le Nez de 1947 représente,
dans l'oeuvre de Giacometti, un témoignage essentiel, le plus cruel et
le plus déchirant peut-être qu'il nous ait laissé?"
(33)
Au delà
d'un certain pathos sur ce que nous aurait laissé ou pas, comme témoignage,
Giacometti, il est à retenir la forme même de l'injonction utilisée
: "Comment ne pas comprendre". Nous la soulignons ici, simplement
comme modalité incompatible avec ce que pourrait être l'enseignement
de la psychanalyse.
Est-ce à dire que la psychanalyse n'a servi ici que comme élément
de pouvoir, au sein d'un champ qui n'est pas le sien? Sans pouvoir répondre
à cette question, nous pouvons néanmoins nous interroger sur la
séparation qui s'opère là, entre l'utilisation d'un corpus
théorique et l'éthique d'une clinique qui s'en soutient. Ou faut-il,
au contraire soutenir comme Ehrenzweig le fait que "La psychanalyse de
l'oeuvre créatrice peut se révéler, pour sonder à
ses niveaux les plus profonds le moi créateur en acte, un meilleur instrument
que l'expérience clinique du psychanalyste dans son cabinet" (34).
L'autonomie revendiquée par Ehrenzweig (35), nous la
retrouvons à l'oeuvre dans la plupart des textes où l'auteur n'est
pas psychanalyste. Nous verrons dans la suite de ce travail, l'enjeu que représente
pour la psychanalyse, cette autonomie et les conséquences politiques
de celle-ci. L'utilisation des concepts psychanalytiques par tout un chacun,
au-delà de la notion d'héritage et de sa préservation,
ne doit pas nous faire oublier que, radicalement, la psychanalyse concerne des
effets de vérité et non pas de compréhension ou de production
d'un savoir positif.
Mais il est des entreprises qui échappent à cette critique de
par le risque pris par l'auteur, qui se fait alors historien, interprète,
poète mais dont la position vis à vis de la psychanalyse reste
problématique; ainsi en est-il de la Biographie d'une oeuvre : Giacometti
d'Yves Bonnefoy.
Yves Bonnefoy, dans sa monumentale monographie (36) sur A.Giacometti,
apporte une autre dimension encore à l'analyse de l'oeuvre. Si nous avons
pu, auparavant, voir fonctionner la condensation et le déplacement pris
comme modèles paradigmatiques d'un certain type de déploiement
interprétatif - à partir notamment mais pas seulement de la psychanalyse
-, le texte d'Y.Bonnefoy rend à l'oeuvre son épaisseur au-delà
même du projet de l'auteur. Nous voulons par là indiquer que, de
réunir dans un même volume une telle somme de fragments biographiques,
de commentaires, d'interprétations, de construction, rend l'oeuvre peut
être plus énigmatique encore (plus poétique aussi, lorsque
l'auteur s'autorise à se laisser aller à son être poète),
alors que la visée était d'en dévoiler l'ensemble des ressorts
- comme son titre Biographie d'une oeuvre en traçait le projet - ce qui
en fait paradoxalement, de notre point de vue, toute la valeur. Nous retrouverons
tout au long de cette Biographie, cette tension entre le poète qu'est
Yves Bonnefoy et son travail de critique. Et est-ce un hasard si la psychanalyse
est convoquée pour tenter d'expliciter un autre conflit, celui de l'artiste,
de ses déterminants existentiels, événementiels, avec son
oeuvre de création?
Y.Bonnefoy débute cette biographie par cette phrase :" Pour comprendre Giacometti, prenons d'abord cette voie, puisqu'elle s'offre d'emblée : sa relation à sa mère."(37) . Nous ne ferons pas l'exégèse d'une telle formule en regard aux qualités propres de cette étude exemplaire. Néanmoins soulignons d'emblée pour reprendre l'expression d'Y.Bonnefoy, la coloration maternelle de cette biographie, en contraste avec les travaux de G.Didi-Huberman et de J.Clair qui s'étaient plutôt attachés à en explorer la dimension paternelle que révèlent de façon spécifique le Cube et le Nez de Giacometti.
La référence
à des concepts psychanalytiques est partout présente dans cette
monographie. Nous en proposons ici un exemple seulement pour montrer comment
ils sont travaillés par l'historien de l'art. A propos de l'objet invisible
(38), Y.Bonnefoy écrit : "Le fantasme, l'hallucination
sont de cette nature double, à la fois pure parole et illusion, en face
de nous, d'un être autonome. J'en conclus que l'objet invisible est de
nature hallucinatoire. Giacometti a laissé paraître à nos
yeux un produit de son inconscient tout trempé encore de la nuit de la
profondeur (39). (...) L'objet invisible est la matérialisation
d'un fantasme. L'effroi que nous ressentons, c'est de rencontrer à l'air
libre, en somme, ce qui ne vit d'ordinaire que dans la profondeur du psychisme
- reste à savoir maintenant qu'est ce fantasme", et Y.Bonnefoy d'ajouter
- à cette question qui n'appelle pas de point d'interrogation dans son
texte - "mais nous avons quelques clefs pour cette recherche..." (40).
Cette recherche nous amène à un : "Concluons donc que Giacometti
a projeté hors de soi dans L'objet invisible (41) son
grand fantasme, celui qui lui était apparu la première fois quand
il n'était qu'un enfant encore (...), sous l'aspect de la pierre noire
(42)... Mais plus loin Y.Bonnefoy nuance son propos: "
Je me demande, (...) si la grande statue n'est pas plus complexe que son apparence
en somme si clairement oedipienne n'inciterait à le croire. Si, revivant
une fois de plus dans cette oeuvre le grand interdit maternel, Giacometti n'avait
pas encore une autre pensée. Qu'est-ce que sa vie, a-t-il constaté,
sinon un vide?" (43). Enfin, terminant ce chapitre Y.Bonnefoy
précise: "Ainsi l'objet invisible n'est-il pas seulement l'archétype
d'une origine; c'est l'injonction (44)qui relance le devenir".
L'introduction du chapitre suivant nous éclaire sur la démarche
dY.Bonnefoy en rapport avec notre propos. En effet, il constate: " Mais
une fois de plus aussi on va penser, je le crains, que je vais trop loin dans
l'interprétation d'une oeuvre de Giacometti; et que ce soit toujours
la même direction ne paraîtra pas me justifier", - et d'ajouter:
" Et aussi bien laisserai-je pour un instant ma lecture de l'Objet invisible
pour aller voir ce qu'en dit Breton (45)- illustration de
nos remarques précédentes en ce qui concerne Yves Bonnefoy et
sa position de poète.
Illustration aussi de la coloration maternelle de cette Monographie - et de
ce qu'elle traduit comme ligne de différenciation entre le travail d'Yves
Bonnefoy et celui de G.Didi-Huberman. Cette ligne de démarcation serait
à situer alors - pour ce qui nous intéresse ici - dans la façon
d'utiliser les concepts/formulations issus de la psychanalyse. Plus généralement,
nous dirions que dans un cas ils ont plutôt valeur heuristique (G.Didi-Huberman),
comme relance d'un sens toujours à déchiffrer avec sa dimension
d'ouverture sur d'autres sens possibles, et dans l'autre, valeur interprétative
au sens explication de texte (Y.Bonnefoy) avec cette impression de clôture
et de malaise qui oblige l'auteur d'une certaine manière à passer
le relais à un poète (A.Breton) pour se dégager de cette
même direction ...(46)
A propos d'"Hier, Sables mouvants" (47), nous voyons
d'autant plus s'affirmer cette divergence d'interprétation. Est-ce -
un souvenir d'enfance comme nous le propose Giacometti lui-même - ou une
représentation de l'imago maternelle: Anetta, la mère de Giacometti,
comme l'indique Y.Bonnefoy (48)- ou encore un récit
d'une perlaboration qui veut nous convaincre, voire nous fasciner d'un mythe
individuel, appartenant à un morceau de roman familial (G.Didi-Huberman)?.
Mythe et roman familial dont il est nécessaire de se déprendre
selon G.Didi-Huberman, pour aborder le texte dans sa littéralité
propre et considérer les deux monolithes - non plus comme des représentations
d'imago (paternelle ou maternelle) mais comme des monuments érigés
- comme des statues, dans leur existence d'objets de pierre ! - comme des objets
formels à prendre en tant que tels. Position proche de celle d'Anton
Ehrenzweig (49)pour ce qui concerne l'approche formelle de
l'oeuvre.
A travers cet exemple, nous constatons que la psychanalyse peut être convoquée
par les historiens de l'art, soit comme une herméneutique (50),
une machine à interpréter des contenus, pour produire un savoir,
une synthèse - soit comme enseignement - celui de Freud notamment - où
il s'agit "seulement de dialectiser: penser la thèse avec l'anti-thèse,
l'architecture avec ses failles, la règle avec sa transgression, le discours
avec son lapsus..." (51). Yves Bonnefoy avec G.Didi-Huberman...
Ceci est aussi vrai pour les psychanalystes!
III) L'effet et le désir de savoir : un risque à prendre ?
Peut-on rencontrer
la psychanalyse aux Champs Elysées?
Une telle proposition peut surprendre et provoquer si ce n'est blâme et
réprobation, tout du moins indifférence - notamment chez les psychanalystes.
Tout le monde sait en effet que la psychanalyse est d'abord une histoire d'inceste
et de parricide condensée dans un complexe d'Oedipe dont la scène
se rejouerait (?) à l'abri des regards dans un cabinet en position le
plus souvent allongée...
Une telle présentation de la situation analytique ne sera pas pour améliorer
notre crédit auprès des psychanalystes. Et pourtant elle appartient
à ces clichés véhiculés par notre société
de communication et dont l'incidence n'est pas sans effet sur le déroulement
actuel des cures. S.Leclaire (52), M.Dayan (53),
P.Aulagnier (54), et d'autres l'ont bien souligné et
plus particulièrement en tant que résistance, armure névrotique
pour reprendre l'expression de P.Aulagnier. Armure, résistance qui se
sont constituées à partir d'un désir de savoir et dont
les lieux et les objets qui alimentent cette demande de savoir, ne sont pas
catégorisés!
Alors pourquoi pas les Champs Elysées?
Ce qui précède a pu provoquer, dans sa forme comme dans son contenu,
un certain effet et caractériser ces quelques lignes de provocation,
de propos hors de propos dans un tel travail,... effet qui suscitera chez notre
interlocuteur peut-être agacement et rejet? Comme il n'y a pas naïveté
de notre part, comment alors justifier une telle proposition? Recréer
les conditions d'émergence de cet agacement et de ce rejet, peut nous
aider à préciser ce qui est souvent perçu comme étant
justement de l'ordre de l"appliqué" dans cette psychanalyse,
dont la grille de compréhension tiendrait à quelques stéréotypes
(55).
Prendre la psychanalyse (et notamment la situation analytique) comme objet d'analyse
au même titre qu'une rencontre avec une oeuvre d'art, va nous permettre,
dans ces aller et retour entre ces deux sollicitations, de préciser les
conditions qui - selon notre point de vue - permettent de maintenir un effet
de vérité tant du coté de la psychanalyse que du coté
de l'art.
La présence aux Champs Elysées (56) d'une sculpture
d'A.Giacometti - L'Homme qui marche I (1960) - sera le point de départ
de ce questionnement qui de l'art à la psychanalyse et de la psychanalyse
à l'art, tentera de restituer, ne serait-ce que partiellement, l'arête
vive de la découverte freudienne - entendue ici comme interrogation sur
la jouissance (57) singulière d'un sujet. L'artiste
pris ici comme supposé en savoir un "bout" sur cette jouissance,
dès lors qu'il nous la donne à voir dans ces objets qui peuplent
des champs entiers offerts au regard de tous...
Cet Homme qui marche sucite la parole, le commentaire, la réaction. Il
est souvent défini comme l'expression de l'humaine condition de l'homme
vers son destin , ou encore comme figuration tragique ou extatique (58).
Mais cette représentation commune tellement manifeste, ne nous informe-t-elle
pas sur cette résistance qui s'approprie les grandes catégorisations
(généralités) pour pouvoir ne rien dire du procès
singulier que nous propose l'artiste. Où encore dire que "nul mieux
que lui n'a su montrer la précarité de l'existence humaine, dans
ce style tourmenté et caractéristique qui suggère un espace
infini"... n'est ce pas être pris au piège du regard dont
la prime de plaisir esthétique dont parle Freud dans l'introduction à
son Moïse de Michel Ange, fait office de sédation ? (59)
Ce qui se trouve ici engagé dans ce contenu manifeste ce sont les grandes
figures et énigmes du destin humain. La solitude, la souffrance, la mort...
avec cette question en forme de constat - pourquoi l'homme est seul, souffrant,
mortel? Perçue comme une malédiction à l'encontre de son
aspiration au bonheur! Figures tragiques du destin, dans lesquelles tout un
chacun peut déposer son regard comme on dépose les armes(60)
. Mais ne faisons pas comme si cette représentation commune, manifeste
nous était totalement étrangère. Elle est là donnée
d'emblée, et c'est faire un certain choix que de vouloir en savoir un
peu plus...
"Une oeuvre d'art nous touche quand elle nous suggère que ça
aurait bien pu nous arriver à nous aussi. Et donc elle nous oblige à
poser la question: "qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je fais de cette
"saloperie" qui est en moi?. Au travers de l'Oedipe pris comme exemple
typique, la force et la beauté mais aussi la justesse de ton de la tragédie
de Sophocle, c'est de définir l'être humain comme sujet : à
son destin, de son destin. Il est déterminé certes, et cependant
il est responsable (...); il se tient lui-même comme responsable malgré
tout, même s'il ne sait pas ce qu'il fait"(61)
.
Si les oeuvres
d'A.Giacometti apparaissent comme témoignage de cette condition humaine,
il n'en demeure pas moins qu'elles participent à cette délégation
que le spectateur fait à l'artiste de prendre en charge cette responsabilité.
Car l'essence de la condition humaine - telle que la psychanalyse en fait le
procès - "c'est qu'il y a quelque chose dont nous dépendons
mais qui ne dépend pas de nous, sur quoi nous n'avons pas de prise. C'est
ce qui fait notre drame." (62)
Fréquenter une oeuvre d'art c'est donc prendre le risque de constater
que l'artiste ne délègue jamais cette responsabilité. Pour
le meilleur et pour le pire ! Cette attitude a de quoi effrayer, lorsque notamment
les contenus manifestes de la vie de l'artiste (63) viennent
brouiller ce rapport au réel. L'homme de la rue - tout un chacun - jusqu'au
jour où il franchit pour la première fois la porte d'un psychanalyste,
pour prendre ici cette situation qui fonde notre propos, n'en veut rien savoir
de cette responsabilité, de cette question : "qu'est-ce que j'ai
fait, qu'est-ce que je fais de cette "saloperie" qui est en moi ?
et dont je ne suis pas l'auteur et qui pourtant me détermine...
Dans le Moïse de Michel-Ange (64), Freud nous indique
cette voie. Cette "saloperie" qui a l'apparence des tables de la Loi,
dont Moïse n'est pas l'auteur et dont pourtant il assume les effets, qu'est-ce
que Michel-Ange va en faire? : un chef d'oeuvre dans les productions humaines
(une sublimation)! Freud une science, Moïse une religion. Trois destins
à la hauteur des risques pris par chacun...
L'intention de l'artiste n'est plus seulement considérée alors,
sous le seul angle de la force motrice de la création (considérée
comme pulsion dont le destin serait la sublimation des contenus sexuels infantils
refoulés), mais comme une décision assumée, dont l'oscillement
est inscrit dans le mouvement même de l'oeuvre.
A suivre attentivement,
au plus près de l'expérience de création, le parcours d'A.Giacometti,
nous pouvons saisir ces moments et ces mouvements d'oscillation.
A.Giacometti à qui on avait posé la question "Vous me demandez
quelles sont mes intentions artistiques" (65) avait répondu,
et c'est ce qui nous semble interessant ici, d'abord par un "Je ne sais
pas très bien comment répondre à votre question",
comme si cette notion d'intention n'était pas appréhendée
comme telle par A.Giacometti. Si l'intention suppose au sens strict une volonté,
un projet, de l'ordre d'une mise en oeuvre d'un dessein, A.Giacometti ne pouvait
que se sentir étranger, non concerné par une telle question. C'est
pourquoi déplaçant l'intention, de l'objet produit (ici de l'art)
vers ce qui le cause - une certaine vision du monde- il peut faire cette réponse
d'artiste: " Depuis toujours la sculpture la peinture ou le dessin étaient
pour moi des moyens pour me rendre compte de ma vision du monde".
Gaétan Picon d'une autre position a écrit : " Mais il n'y
a d'art, à strictement parler, que dans la mesure où il y a effort
pour combler un écart entre ce que voit naturellement le peintre (et
son public) et ce qu'il veut rendre visible" (66). C'est
bien à partir d'un tel projet que Giacometti complète sa réponse
: " La réalité n'a jamais été pour moi un prétexte
pour faire des oeuvres d'art mais l'art un moyen nécessaire pour me rendre
un peu mieux compte de ce que je vois".
A faire côtoyer Gaétan Picon et Giacometti, on s'aperçoit
d'emblée que Giacometti répond au lieu même de l'artiste
dans sa généralité et ne nous renseigne en rien sur sa
singularité, dont témoigne pourtant son oeuvre.
Et Giacometti de poursuivre: " Cela dit je sais qu'il m'est tout à
fait impossible de modeler, peindre ou dessiner une tête, par exemple,
telle que je la vois et pourtant c'est la seule chose que j'essaie de faire".
En écho à cette généralité le propos de Gaétan
Picon nous indique : " Le propre de l'art véritable est de poser
à son opération des conditions si nombreuses et contradictoires
que sa réussite est toujours frappée d'une sorte d'improbabilité"
(67) Ce que nous croyons être l'originalité de
l'artiste - ne pas pouvoir sculpter une tête par exemple - n'est qu'une
variante de la condition d'artiste en général. Cette remarque
va nous permettre d'orienter notre lecture en deçà des généralités
qui seraient ici - l'intention de l'artiste - vers non pas les contenus, le
descriptif de ces conditions si nombreuses et contradictoires, mais vers ce
qu'en a fait Giacometti dans sa réponse esthétique. Elle nous
oblige, de par l'effet produit, à nous reposer la même question:
"qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je fais de cette "saloperie"
qui est en moi?
La réponse esthétique qu'élabore Giacometti ne lui apparaît
pas aller de soi dans la mesure où l'objet ne procède pas d'une
finalité qu'aurait pu sous-entendre sa réponse et il précise
:
"Je ne sais pas si je travaille pour faire quelque chose ou pour savoir
pourquoi je ne peux pas faire ce que je voudrais". Le statut de l'objet
détermine le fondement même de la condition d'artiste, soit finalité
d'un travail dans l'ordre des services des biens (68), soit
au contraire cause d'un questionnement à son sujet que traduit la recherche
personnelle que se livre Giacometti. Mais lui est-elle spécifique? Serait-il
le seul à vouloir savoir pourquoi il n'y arrive pas? La réponse
est non!
En effet, si l'on se réfère à Gaétan Picon "l'art
qui a gagné la guerre, comme disait Masson, est en effet un art de recherche
- et de recherche personnelle, quelque soit ses bons et mauvais jours. L'art
qui l'a perdue, est un art d'application qui n'a pas à se donner son
objet, puisqu'il le trouve dès le départ : dans un perception
naturelle, photographique, ou dans une idéalisation convenue. La difficulté
consiste alors pour lui à bien saisir cette image, à la reproduire.
Ici il est possible de parler de maladresse et d'habileté, puisque l'oeuvre
peut-être mesurée à un modèle. Dans l'art créateur,
il ne peut être question que d'aboutissement et de non aboutissement (69)
." Cet art d'application n'est pas sans analogie avec ce qui pourrait apparaître
comme une grille de lecture stéréotypée dans la psychanalyse
"appliquée". A contrario une psychanalyse "créative"
pour garder ici la métaphore - serait celle qui s'élabore à
partir d'une recherche, d'un questionnement où rien n'est à re-trouver...
Si "En fait, la recherche ne cesse pas d'être la valeur décisive"
(70) pour l'artiste. Elle l'est aussi fondamentalement pour
le psychanalyste, même si les formes qu'elle prend n'ont pas à
être normalisées...
La suite de la réponse de Giacometti nous en apprendra-t-elle un peu
plus sur ses conditions si nombreuses et contradictoires qui nous informeraient
des choix particuliers - en oeuvre chez Giacometti, dans la mesure où
il y a impossibilité de déduire ceux-ci des généralités.
Mais, déplaçant de nouveau l'intention vers une intériorité
supposée à l'oeuvre, il répond par un : " Peut-être
tout cela n'est qu'une manie dont j'ignore les causes ou une compensation pour
une déficience quelque part. En tout cas je m'aperçois maintenant
que votre question est beaucoup trop vaste ou trop générale pour
que je puisse y répondre d'une manière précise. Par cette
simple question vous mettez tout en cause alors comment y répondre?"
On peut noter l'ironie de Giacometti dans ce quelque part, lui qui fut l'inventeur
de ces objets à fonctionnement symbolique et dont la période surréaliste
fut placée sous la marque de la découverte freudienne. On remarquera
aussi cette indication - quasi clinique- que d'aborder un artiste, ou tout sujet,
par ces grandes généralités figuratives du destin de l'homme,
qui remettent tout en cause, ou tout du moins, ce qui fait destin pour chacun
d'entre nous, ne peut conduire qu'à un : "comment y répondre"?
Aborder une oeuvre par un questionnement conceptuel ne peut qu'aboutir à
une réélaboration rationalisante dont la fonction serait d'éviter
une remise en cause si énorme. L'effet de vérité y sera
absent, quand bien même les principaux concepts psychanalytiques comme
l'Inconscient, l'Oedipe, la Castration, le Fantasme... y seraient convoqués
comme instances dévoilantes. N'auraient-ils pas pris l'habit de ces grandes
généralités figuratives du destin de l'homme?
Gaétan Picon,
dans sa distinction art appliqué - art créateur, fait intervenir
la perception photographique comme caractéristique de l'art d'application.
Giacometti nous en donne l'indication au cours de sa propre expérience
perceptive : "Au fond, j'ai commencé très nettement à
vouloir travailler d'après nature vers 1945. Il y a eu pour moi une scission
totale entre la vue photographique du monde et ma propre vue que j'ai acceptée"
(71). Cette "propre vue" comme indice de cette "saloperie"
qui est en lui, et qu'il accepte. C'est ce moment d'acceptation en 1945, qui
signe chez Giacometti le passage de l'art "d'application" à
celui de "créateur". C'est ce passage d'un état à
un autre qu'il nous intéresse de mettre en référence avec
la responsabilité dont fait preuve Giacometti. Si nous savions que "
L'oeuvre est le passage d'un état à un autre, l'oeuvre atteint
son équilibre à travers une aventure" (72),
celle-ci n'est concevable qu'à partir de cette acceptation par l'artiste
de ce qu'il lui vient de fondamentalement étranger, en l'occurrence chez
Giacometti une transformation de sa vision du monde.
" C'est le moment où la réalité m'a étonné
comme jamais" (73)
Mais cette acceptation, c'est une acceptation annoncée et oh combien
redoutée: "Pendant toute la période surréaliste, j'ai
été hanté par la conviction que tôt ou tard je devrais
revenir à la nature. Et c'était terrifiant parce que je sentais
en même temps que c'était impossible" (74).
Et encore à propos de cette époque surréaliste: "Je
faisais des expériences que je sentais passagères. Mais je m'imaginais
avec terreur que je serais bel et bien obligé un beau jour de m'asseoir
devant un modèle sur un tabouret" (75).
Assumer ce par
quoi nous sommes déterminés, n'est jamais un chemin de toute tranquillité,
ce dont témoigne le parcours artistique de Giacometti, à qui il
a fallu près de vingt ans pour accepter d'être terrifié
par cette vision non photographique, que devait être sa rencontre avec
les têtes...
Nous pourrions multiplier les exemples de ces choix qui se sont offerts à
Giacometti à l'occasion d'évènements notamment biographiques.
Si notre démarche n'y fait pas référence c'est pour ne
pas tomber dans la psychobiographie et ainsi rester au plus près de la
littéralité de sa position d'artiste telle qu'il a pu en exprimer
ses particularités.
En ce point d'arrivée de notre travail, il nous reste à inviter le lecteur à fréquenter l'oeuvre de Giacometti, et d'entretenir ainsi - de surcroît peut-être - sa capacité d'étonnement, dont sa pratique dépend.
"Autant qu'à
la beauté - toujours si extraordinairement en suspens - des résultats
qu'il lui arrive d'épargner parmi ceux de son entreprise (tout en niant
qu'ils valent plus que de simples essais) la grandeur de Giacometti se mesure
à celle d'une aventure qui, probablement, n'a pas de précédent
: sans se déprendre de ce que de tout temps et en tous lieux maints artistes
ont produit d'exaltant, reprendre l'art comme s'il n'était pas inventé
encore et, aussi éloigné de la naïveté feinte que
du primitivisme voulu, refaire chaque jour l'immémoriale invention qui
restera toujours à faire".
Michel Leiris (76)
Conclusion : Giacometti et la psychanalyse " appliquée"
entre heuristique et éthique !
Comme nous le rappelle J.G Trilling : "pour Freud, qu'il s'agisse de shakespeare, de Goethe, Léonard ou Michel-Ange, c'est son implication qui confère une dimension heuristique, voire fondatrice, à ses essais" (77).
J.Laplanche est
certainement l'un de ceux (78) qui s'est le plus "impliqué"
pour maintenir une pratique de "psychanalyse appliquée" même
si le terme ne lui convenait pas comme en témoigne ce texte de 1991:
"Si je critique le terme de "psychanalyse appliquée" utilisé
par Freud, c'est au nom de Freud lui-même, puisqu'il est avéré
que la majorité des travaux de Freud en psychanalyse hors cure sont des
travaux à portée heuristique "(79) .
Ainsi si nous suivons la pensée de J.Laplanche en 1991, c'est bien la
portée heuristique qui est mise en avant dans la psychanalyse "appliquée"
et il s'en réfère directement à l'exemple de Freud. Or
sa position en 1968 quant aux modalités d'effectuation de celle-ci:
"Sillonner l'oeuvre en tous sens sans rien omettre et sans rien privilégier
a priori, c'est peut-être pour nous l'équivalent de la règle
fondamentale de la cure. Une fois posée et appliquée celle-ci,
de nombreux mécanismes ou procédés de l'inconscient, découverts
dans l'interprétation psychanalytique de la névrose ou du rêve,
peuvent être retrouvés au niveau de l'oeuvre" (80)
procède plus d'une application pour retrouver dans l'oeuvre ce qui a
été élaboré ou découvert dans le cadre de
la cure que d'une démarche heuristique ce dont témoigne d'ailleurs
son texte sur Hölderlin (81), le seul de cette facture.
A contrario l'ensemble de son enseignement et de ses travaux quant à
eux procèdent de cette portée heuristique spécifiquement
freudienne mise en avant en 1991.
Cette orientation heuristique que nous trouvons particulièrement à
l'oeuvre, dans les Problématiques III sur la Sublimation (82),
ou sa relecture du Souvenir d'enfance de Léornard de Vinci, lui permet
de faire travailler le concept de sublimation et la théorie de la séduction
dans une perpective renouvelée.
D'autres contributions comme celles de G. Rosalato (83), A.Green
(84), JB.Pontalis (85), D.Anzieu (86),
Lacan (87), E.Kriss (88), pour ne citer
que les principaux, appartiennent à ce registre avec néanmoins
des modalités différentes.
Par contre, il n'en est pas de même pour d'autres dont les finalités
sont ouvertement plus philosophiques (89), littéraires
(90), ou esthétiques (91).
La position d'autonomie
revendiquée par Ehrenzweig que nous avons évoquée précédemment
ouvre le débat sur ce type de contribution extra-psychanalytique mais
aussi intra-psychanalytique. En effet aujourd'hui plus qu'hier encore, c'est
pour la psychanalyse un enjeu, non plus de reconnaissance, mais de subversion
(92) quant à sa spécificité.
Et c'est peut-être à la mesure de cette dimension de subversion,
dans sa capacité à engendrer, à faire advenir ce qu'il
y a d'étranger, de nouveau comme nous avons essayé de le montrer
à travers l'exemple de Giacometti, que la psychanalyse "appliquée"
se trouverait légitimée. C'est donc à une éthique
(93) que nous devons nous référer car elle seule
peut rendre compte de l'implication de l'analyste dans une telle pratique.
Cette double exigence de subversion (94) et d'éthique
serait alors ce qui constituerait sa légitimité, en ce qu'elle
implique cette responsabilité de ne pas rabattre la psychanalyse à
des généralités totalisantes, comme nous l'avons montré
en analogie avec la responsabilité de l'artiste, mais d'en garder l'efficace
par son questionnement propre, et ses contraintes. Ce n'est plus le cadre de
la cure qui fait référence, mais la position de l'analyste vis
à vis de cette psychanalyse "appliquée" lorsqu'il s'y
soumet.
(3) in Crise et contre-transfert, coll. Psychopathologie, PUF, Paris, 1992, p112.
(5) in Le site de l'étranger, coll. Psychopathologie, PUF, Paris, 1995, p206,
(6) Sur le foyer des dessins d'Alberto Giacometti, Plus loin que le regard une figure... qui n'est pas tourné vers nous, Ed.Mercure de France, 1972, p37 et sq.
(7) in Le site de l'étranger, op cité, p206.
(8) in Crise et contre-transfert, op cité, p112.
(9) S.Stirn, Giacometti et Moore: de la répétition jusqu'à l'étirement, in Psychologie Médicale, 1995, n°spécial, p88-90.
(10) in Alberto Giocometti &Tahar Ben Jelloun, Ed Flohic, Paris, 1991, p16.
(11) S.Stirn, Giacometti et Moore: de la répétition jusqu'à l'étirement, in Psychologie Médicale, 1995, n°spécial, p 89.
(12) in Che vuoi, La folie insoupçonnée, N°4, L'Harmathan, Paris, 1995, p 171-181
(14) cf S.Le Poulichet : plan du cours DESS Psychanalyse " L'art du danger" 1995-96, Université Paris VII.
(15) in Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 50, NRF, Gallimard, Paris, automne 1994, p11-14. L'argument qui n'est pas signé doit-il être pris comme l'expression de la rédaction dans son ensemble? Ce sera notre hypothèse.
(18) " Il semble, au reste, qu'il soit de la nature du beau de rester, comme on dit, insensible à l'outrage, et ce n'est pas là un des éléments le moins significatif de sa structure.(...) Vous pouvez, avec une certitude de compteur Geiger, le repérer aux références au registre esthétique.(...)C'est au moment où va apparaitre manifestement chez un sujet, (...) une pensée qu'on appelle agressive ( qui est toujours du registre de la pulsion agressive) à l'endroit de l'un des termes fondamentaux de sa constellation subjective, qu'il vous sortira (...) telle référence à un auteur... in J.Lacan, in Le Séminaire Livre VII, L'éthique, Seuil, Paris, 1986, p 279-280.
(19) J.Lacan, in Le Séminaire Livre VII, L'éthique, Seuil, Paris, 1986, p 361.
(20) cf l'Apport Freudien, p404, op cité in bibliographie.
(21) Autour d'une sulpture d'Alberto Giacometti, Ed Macula, Paris, 1993.
(22) cf Invention de l'hystérie, Ed Macula, Paris, 1989.
(23) nombreuses en effet sont les références à S.Freud, A.Green, P.Fedida...
(24) allusion à une remarque d'A.Breton lors de l'exclusion de Giacometti du groupe surréaliste.
(25) "et encore je le considérais en réalité comme une tête" in J.Lord, Un portrait de Giacometti, Gallimard, Paris, 1991, p116.
(26) "La condensation, par son travail créatif semble plus propre que d'autres mécanismes à faire émerger le désir inconscient en déjouant la censure, même si par ailleurs elle rend plus difficile la lecture du récit manifeste du rêve" cf art. condensation, in dictionnaire de la Psychanalyse, Larousse, Paris, 1993, p42.
(27) nous renvoyons le lecteur au livre de G.Didi-Huberman pour en prendre connaissance et ne pas affadir et réduire la démonstration de l'auteur par l'exposé générique de ce que pourrait être une "quête du père", ou "l'impossible deuil" ou encore "l'objet en question?"...
(28) S.Freud, "Constructions dans l'analyse", in Résultas, idées, problèmes, PUF, Paris, 1985, p272.
(29) J.Clair, Le Nez de Giacometti, Coll Art et Artistes, Gallimard, Paris, 1992.
(30) voir aussi une métonymie.
(34) coll tel, gallimard, 1984, p30.
(35) Ehrenzweig, in l'ordre caché de l'art, op cité.
(38) 1934, bronze, 153x32x29. Washington, National Gallery of Art.
(39) il y aurait beaucoup à dire sur cet "inconscient" des profondeurs plus proche des conceptions de Jung que de Freud ou Lacan, mais là n'est pas notre propos, si ce n'est justement de repérer les filiations conceptuelles dans ce genre d'analyse.
(40) Y.Bonnefoy, Giacometti. op cité, p 230.
(41) " Peu importe ici la signification ou le symbolisme, toujours problématiques, de cette oeuvre que je ne tenterai pas d'analyser.." G.Didi-Huberman, op cité, p 61.
(42) ici Y.Bonnefoy fait allusion au texte de Giacometti: "Hier, Sables Mouvants" in Ecrits, op cité, p7-9, et dont Y.Bonnefoy donne une interprétation maternelle dans sa Monographie, op cité, p 24 et suiv.
(43) ibid p 232 et Y.Bonnefoy de poursuivre:" Mais qu'est-ce que l'art, sinon, il le sait aussi, le besoin de dire non au néant, d'attester la plénitude manquante, de la chercher par d'autres voies que celles que l'existence ordinaire aurait pu ouvrir à qui aurait eu plus de confiance? Cette recherche du sens a été la sienne, il le sait à ces échecs même qu'il n'a pas cessé de connaître. Et c'est sans fin, et cela ne le mènera nulle part, peut-être. Mais est-ce pour autant inutile?
(44) maternelle ? que nous déduisons de ce qui précède!
(46) qui n'est pas exclusivement maternelle comme le laisserait supposer notre lecture, le père de Giacometti est aussi convoqué par Y.Bonnefoy " Pourquoi Giacometti a-t-il été un artiste? Il faut répondre à cette question, et ce n'est pas impossible, si maintenant on s'attache à l'autre grand aspect de l'enfance et de l'adolescence de l'auteur de L'Objet invisible mais aussi de Paris sans fin: sa relation à Giovanni, son père qui fut un peintre". Op cité, p55.
(47) nous renvoyons ici le lecteur à la fois à la lecture du texte de Giacometti op cité p 7-9 (in annexe), au chapître qu'y consacre Y.Bonnefoy dans sa Monographie, op cité p 24 et suiv. et à la lecture qu'en fait G.Didi-Huberman in Le Cube, op cité p 135-138 en référence notamment à l'interprétation maternelle qu'en fait Y.Bonnefoy.
(48) "Il se peut que Giacometti ait lu Pan, et Freud, et invente et non remémore sa dialectique des pierres. Mais peu importe. (...) il est indifférent qu'il ait puisé à des souvenirs authentiquement enfantins ou se soit reconnu dans des symboles ou des images fournis par un psychologue ou un romancier". Op cité, p27.
(49) L'ordre caché de l'art, coll Tel Gallimard, Paris, 1974 et son compte-rendu par M.Mathieu in Psychanalyse à l'Université, n°58, p 113-118, PUF,1990; "Dans ses conclusions théoriques, L'ordre caché de l'art tente un rapprochement avec le mot d'esprit de Freud. Sans doute ce dernier a bien saisi que c'étaient des problèmes de forme, de structure, plus que de contenus fantasmatiques, qu'il fallait aborder pour toucher au plus près l'inconscient de l'art" p116.
(50) cf à ce sujet le débat entre M.Tort et P.Ricoeur au sujet du livre de celui-ci "De l'interprétation, essai sur Freud" in M.Tort : "De l'interprétation ou la machine herméneutique". Les Temps Modernes, n° 237-238.
(51) G.Didi-Huberman, in Devant l'image, Ed de Minuit, 1990, Paris, p 175.
(52) Ecouter, in Psychanalyser, Coll Point Seuil, 1968, p9-27 et plus particulièrement p14-15.
(53) in P.Aulagnier, Préface, Un interprète en quête de sens, Petite Bibliothèque Payot, 1991, p15.
(54) Un interprète en quête de sens, Petite Bibliothèque Payot, 1991, p99.
(55) S.Leclaire, op. cité, p15
(56) Les champs de la sculpture, exposition de la Ville de Paris, du 11 avril au 9 juin 1996. entre le rond point des Champs Elysées et la Concorde.
(57) S.Leclaire, op. cité, p186.
(58) Guide de l'exposition, Paris Match, 1996, p 3.
(59) cf P.L Assoun , Leçons psychanalytiques sur Le regard et la Voix, tome 2, Figures, Ed Anthropos, 1995, Paris, p 22.
(61) M.Lapeyre, Clinique freudienne, Cinq leçons, Ed Antrhopos, 1996, Paris, p12.
(63) folie, alcool, solitude, suicide...
(65) in Les Ecrits, Ed Hermann, 1995, Paris, p84.
(66) Gaétan Picon, Les lignes de la main, Coll Le point-NRF, Gallimard, 1969, p82.
(68) J.Lacan, Le Séminaire livre VII, L'éthique de la psychanalyse, Seuil, 1986, p361.
(69) Gaétan Picon, Les lignes de la main, op cité, p79.
(71) Entretien avec André Parinaud, in Les Ecrits, Ed Hermann, 1995, Paris, p277.
(72) Gaétan Picon, op cité, p38.
(73) Entretien avec André Parinaud, in Les Ecrits, op cité, p277.
(74) J.Lord, Un portrait de Giacometti, Gallimard, 1991, p141-142.
(75) Entretien avec André Parinaud, in Les Ecrits, op cité, p278.
(76) Alberto Giacometti, Brisées, Coll folio essais, 1992, p279.
(77) La psychanalyse impliquée, in Psychanalyse à l'Université, T16, n°63, Juillet 1991, p111.
(78) nous y associons bien sûr des analystes comme A.Green, G.Rosolato...
(79) J Laplanche, in Psychanalyse à l'Université, T16, n°63, Juillet 1991, p18.
(81) Hölderlin et la question du père, Quadrige-PUF, Paris, 1961.
(83) L'ombilic et la relation d'inconnu, in La Relation d'inconnu p273, Gallimard, Paris, 1978; Essais sur le symbolique notamment les p 121, 129, 139, Coll Tel Gallimard, Paris, 1994. Pour une psychanalyse exploratrice de la culture, Paris, PUF, 1993, le chapitre "Léonard et la psychanalyse" p 65 à 88 :"Si Freud a donné pour titre à son essai un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci c'est pour laisser entendre que ce fantasme recueillait de multiples significations(...)
(84) par ex. dans La déliaison, p 44 et plus particulièrement le chapître III Oedipe, Freud et nous, p69 à 146, dédié à J-P Vernant, Les Belles Lettres, Paris, 1992.
(85) cf la préface pour " Le délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen", S.Freud, Coll Folio Essais, Paris, 1986.
(86) Le corps de l'Oeuvre, Gallimard, Paris, 1981.
(87) Le séminaire, Livre VII, p127, 138, 285 , Le Seuil, Paris, 1986; Le Séminaire, Livre XI, p65,97à109, Le Seuil, Paris, 1973.
(88) Psychanalyse de l'art, Paris, PUF, 1978.
(89) par ex, S.Kofman, L'enfance de l'art, Une interprétation de l'esthétique freudienne, plus particulièrement p135, 158 " La méthode freudienne (...) consiste toujours à partir de l'effet d'affect produit par l'oeuvre sur l'amateur, pour remonter à l'affect éprouvé initialement par l'artiste et à s'interroger sur les moyens qui ont été aptes à opérer chez lui et chez l'amateur des transformations d'affect", p227 sur les limites de la psychanalyse, Galilée, Paris, 1970.
(90) par ex, Catherine Clément, Miroirs du sujet, notamment le chapître Histoire d'un sourire, p105-145, "la manière freudienne; elle consiste à admettre l'affect comme s'il émanait du rapport avec l'auteur même: c'est ainsi qu'il se définit (ici Freud) comme amateur, ce qui est pure vérité, si on se souvient d'amare. Amateur, celui qui aime être affecté...", coll 10/18, Paris, 1975.
(91) cf les travaux de Murielle Gagnebin et notamment , Pour une esthétique psychanalytique, Paris, PUF, coll. Le Fil Rouge, 1994, 270 p.
(92) Bouleversement, renversement de l'ordre établi... in Dict. Le Robert, Paris, 1994.
(93) "L'éthique consiste essentiellement - il faut toujours repartir des définitions - en un jugement sur notre action, à ceci près qu'elle n'a de portée que pour autant que l'action impliquée en elle comporte aussi ou est censée comporter un jugement, même implicite. La présence du jugement des deux côtés est essentielle à la structure" in J.Lacan, le Séminaire Livre VII, L'éthique, Ed du Seuil, Paris, 1986, p 359.
(94) plutôt que dévoilement pour éviter l'implicite que ce mot comporte -un caché qu'il suffirait de découvrir -, alors qu'il s'agit du dévoilement de ce qui a pour fonction de consolider le refoulement ( nécessaire au bon fonctionnement de la structure sociale) cf Pierra Aulagnier, in Un interprète en quête de sens, PBP, Paris, 1991, p 113 et suiv.